La Sèvre Nantaise
“La Sèvre a été mon premier amour. Nos écoles buissonnières ont été nourries de ses idylles de libellules, de ses floralies d’aquatiles, de ses églogues de saules et de martins-pêcheurs.
La rivière de l’enfance continue de couler en nous et d’investir les prairies de la mémoire de ses ressacs et de ses sanglots, de ses crues et de ses limons (…).
Elle prolonge avec ses clapotis les flûtes d’eau des étés révolus. Comme la marée au fond des coquillages.”
(Gilbert Prouteau, Je te dis qu’il faut vivre, 1998)
La Sèvre Nantaise est un affluent de la rive gauche de la Loire. Elle prend naissance en Deux-Sèvres, sur les hauteurs de Gâtine. Sa source principale se situe en amont de l’étang de l’Archerie, sur la commune du Beugnon, à une altitude de 215 mètres. Elle traverse ou longe quatre départements (Deux-Sèvres, Vendée, Maine-et-Loire, Loire-Atlantique) avant de parvenir à sa confluence avec la Loire à Nantes.
Ses eaux, d’abord calmes, serpentent au milieu de vastes prairies. Puis elles empruntent, à partir de Treize-Vents, une succession de sombres défilés aux rochers surplombants.
L’hiver, en période de crue, elles bouillonnent et bondissent parmi d’énormes blocs de granit usés par les flots et figés dans une impressionnante déroute.
A partir de Clisson, la rivière redevient plus calme.
Alimentée par ses trois principaux affluents : la Moine, la Sanguèze, la Maine, elle s’élargit et devient navigable de Monnières à Nantes, sur une longueur d’environ 22 kilomètres.
Sous l’Ancien Régime, cette rivière servit naturellement de frontière entre trois provinces : le Poitou, l’Anjou, la Bretagne. D’ailleurs certaines communes riveraines bénéficièrent économiquement de ce statut privilégié de « marches séparantes ». Cela explique également l’implantation sur ses rives des puissantes forteresses médiévales de Mortagne, Tiffauges et Clisson.
On a cherché, probablement dès le XIème siècle et jusqu’au milieu du XXème siècle, à utiliser la force sauvage de cette rivière, due à son importante déclivité.
L’eau retenue par de multiples barrages ou chaussées, ou encore déversoirs fournit l’énergie à une multitude de petites industries :
- – moulins à moudre des céréales,
- – moulins à foulon pour le dégraissage et le feutrage des tissus de laine,
- – moulins à chardons, pour l’apprêt de ces tissus, avec des tambours recouverts de cardères (opération de lainage),
- – moulins à laver les toiles pour la teinture,
- – moulins à papier qui broyaient les vieux chiffons pour les transformer en pâte,
- – moulins à tan qui pulvérisaient les écorces de chêne servant au tannage des peaux,
- – moulins à poudre pour écraser et malaxer le charbon de bois, le soufre, le salpêtre (pendant la guerre de Vendée),
- – moulins à scier le bois, à chamoiser les peaux, à battre le trèfle, à broyer le poivre ou les produits pharmaceutiques …
- Enfin, dans la première moitié du XXème siècle, quelques moulins furent équipés pour une production publique ou privée d’électricité.
Sur les 136 kilomètres du parcours de la Sèvre Nantaise, on peut dénombrer quelque 145 sites hydrauliques aménagés par l’homme au cours des siècles (hormis les viaducs, ponts ou passerelles).
Parmi ces 145 sites aménagés, près de 140 l’ont été à usage industriel (moulins puis usines). Un site pouvait d’ailleurs comporter deux, voire trois moulins mitoyens ou séparés.
Cependant, on ne compte qu’environ 125 chaussées de retenue, car une quinzaine d’entre elles étaient bipolaires (exploitées sur les deux rives).
Ajoutons enfin que, si les sites hydrauliques étaient en grande majorité fariniers, près du tiers furent soit entièrement, soit partiellement, soit temporairement foulonniers, ce qui constitue une spécificité remarquable de cette rivière.
Aussi n’est-il pas étonnant que de gros villages éloignés des bourgs se soient implantés sur les bords de la Sèvre Nantaise autour des moulins.
S’y côtoyaient maîtres et garçons meuniers, foulonniers, fabricants d’étoffes, tisserands, filandières, marchands de draps, cardeurs et apprêteurs d’étoffes, teinturiers, menuisiers-amoulageurs (spécialistes de la mécanique des moulins), papetiers et salleronnes, chiffonniers (au XVIIème siècle on écrivait « amasseurs de guenilles »), voituriers ou patachiers et petits bordiers …
sans compter les cohortes de muletiers bretons qui, à certaines périodes de l’année, prenaient livraison des rames de papier ou des ballots de tissus pour les acheminer vers les célèbres foires de Guibray (près de Falaise) et de Caen et même de la lointaine Beaucaire.
Dès la fin du XVIIIème siècle, et surtout au cours du XIXème siècle, de vastes usines s’implantèrent sur quelques sites de ces anciens moulins, précipitant l’obsolescence des autres: forges, tissages, filatures, blanchisseries, papeteries, tanneries et chamoiseries …
et un certain nombre de modestes moulins à farine se transformèrent en importantes minoteries.
La quasi totalité de ces usines ont cessé leur activité.
Les deux minoteries qui fonctionnent actuellement sur ses berges ne sont quasiment plus redevables à la Sèvre de leur source d’énergie.
Aujourd’hui, les chaussées qui ont plus ou moins bien résisté à l’abandon des hommes et aux flots tumultueux de la rivière en crue sont peu à peu restaurées par les Collectivités locales et le Syndicat Hydraulique.
Certains moulins sont irrémédiablement en ruine, d’autres deviennent d’agréables résidences ou des lieux d’accueil ou de loisirs touristiques.
L’activité économique s’étant déplacée vers les zones périurbaines, on efface les friches industrielles des bords de Sèvre et on soigne scientifiquement sa ripisylve pour redonner à la rivière sa virginité première.
Ainsi va la vie.
Ainsi naissent les nostalgies.
B. RAYMOND
Introduction à Mémoire en images, la Sèvre Nantaise, édit. Alan Sutton, 2004